La Papeterie
La Papeterie - le Moulin à papier de SOUES
Le site
Du moulin à papier initial remontant au XVIIe siècle, auquel avait été adjoint un martinet à cuivre, il ne demeure aucune trace mis à part un quartier nommé « le martinet vieux ». Sans doute pour laisser tout l’espace à ce martinet, un autre établissement papetier, en contre-bas du bourg, est construit en 1682. Il se trouvait à l’emplacement de la villa située 1 rue Jean Moulin. Sur le pilier gauche de la porte cochère qui y mène, beaucoup plus tardive (milieu du XIXe siècle), l’inscription « papeterie » reste encore faiblement lisible.
Initialement, cette papeterie à deux cuves qui comporte l’habitation du maître papetier côté rue et enjambe le canal de dérivation de l’Adour n’est pas entourée de murs. L’achat d’une portion du terrain communal Lartigue par le baron de Castelbajac en janvier 1781 autorise cette enceinte et, ultérieurement, l’édification d’un bâtiment en L qui sert d’annexe : il comprend en particulier le logement des nombreux ouvriers papetiers, célibataires ou veufs, qui y travaillent et une écurie le long de la rue. C’est actuellement le seul qui reste.
Un moulin à papier artisanal
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la fabrication du papier s’effectue à partir de chiffons triés, mis dans un pourrissoir pour y fermenter, découpés avant d’être portés dans différentes piles à maillets afin de devenir une pâte fine et homogène. Cette pâte est ensuite chauffée dans une cuve où sont confectionnées les feuilles une à une. Après pressage et séchage, elles sont successivement encollées, mises de nouveau à sécher, puis préparées pour l’expédition. A compter de 1846, un cylindre remplace les piles à maillets, ce qui évite en particulier l’étape du pourrissage.
Ce moulin à papier emploie en moyenne une douzaine d’ouvriers papetiers, dont un ou deux apprentis. Il produit des papiers de qualité variables selon les époques, mais généralement qualifiés de beaux. Comme beaucoup de la région ouest-pyrénéenne, une grande partie de sa production est destinée à l’Espagne, le reste utilisé dans les environs. Au milieu du XIXe siècle, l’exportation est abandonnée, la vente s’effectuant localement ou dans les départements du grand Sud-Ouest.
L’histoire du moulin à papier de Soues
Au XIVe siècle sont construits les premiers moulins à papiers français : à Troyes (avant 1348), Grenoble (1346), Angoulême (1350), Essonne (1354), puis en Franche-Comté et Auvergne. L’implantation des moulins à papier dans l’ouest des Pyrénées est par contre beaucoup plus tardive.
Un peu avant le milieu du XVIIe siècle, Jean de Mua, juge criminel, acquiert la baronnie de Barbazan-Debat dont dépendent aussi Calavanté, Lansac et Soues. Dans ce village où lui appartient déjà un moulin à farine banal, il fait construire - avec l’aide financière de son fils - un moulin à papier, puis peu après un martinet à cuivre pour façonner des objets tels que des chaudrons.
Pour les faire fonctionner ces nouvelles installations, il les loue à des spécialistes. Le premier maître papetier actuellement connu est François Pontons, originaire de Thiers en Auvergne à qui le bail est renouvelé en 1682. Il est remplacé l’année suivante par François Dutel (Duter), natif de Clermont (Clermont-Ferrand) mais qui a auparavant dirigé la papeterie béarnaise d’Esquiule - près d’Oloron – puis probablement travaillé avec son beau-frère Léonard Brun dans celle de Mirepeix. Lorsqu’il quitte Soues pour affermer le moulin à papier de Bagnères-de-Bigorre, un autre de ses beauxfrères lui succède : Estienne Musnier (Monier/Monié), originaire de Limoges. Après le décès de celui-ci en 1697, Pierre Monié, son fils aîné âgé de 18 ans, prend le relais, s’associant d’abord au maître papetier Pierre Moereau, puis à son frère Jean Monié.
L’aisance financière de cette famille est la résultante d’une demande en papier qui s’accroît du fait de la diffusion de l’écrit, de l’imprimerie et des besoins du commerce ; elle bénéficie également des alliances familiales qui se nouent. Cette aisance se manifeste par l’achat de terres et de bâtiments à Soues, Tarbes et Bagnères-de-Bigorre. Elle permet d’ailleurs à Pierre Monié d’acquérir un terrain à Tarbes, jouxtant le canal oriental, et d’être autorisé en 1734 à y installer une papeterie dont il devient à la fois le propriétaire et le maître-papetier.
Son frère Jean Monié le remplace alors comme fermier de la papeterie de Soues. Après son décès en 1744, son épouse Claire Fourcade, puis son fils Marc Monié – avocat à la cour -, puis son gendre Joseph Ferran, époux de Françoise Monié, la dirigent.
Or entre-temps, plusieurs des propriétaires de ce lieu ont eu des soucis financiers. Le petit-fils de Jean de Mua est obligé de céder sa seigneurie au comte Barthélemy de Castelbajac en 1748. Arrive une crue destructrice en avril 1781, qui ruine et délabre le moulin à papier. C’est aussitôt l’occasion pour les Castelbajac de s’en défaire afin de payer une dot à leur fille et sœur et pour Joseph Ferran d’en devenir propriétaire.
La période révolutionnaire est marquée par de nombreuses réquisitions, une pénurie de main-d’œuvre et de matières premières (chiffon), et la papeterie de Soues semble comme beaucoup d’autres très touchée pour assurer une production. Cependant, c’est aussi l’époque où Joseph Ferran construit un moulin à farine à proximité de sa papeterie, profitant que le droit de banalité, un privilège seigneurial sous l’Ancien Régime, a été aboli.
C’est aussi le moment où son fils cadet Bernard, parti chercher du travail à Paris avant de s’enrôler dans l’armée, écrit de nombreuses lettres à sa famille et, après avoir lu l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert consacré à la papeterie, envoie à son frère aîné Marc ses précieuses « Observations sur la fabrication du papier dans notre papeterie », documents heureusement acquis par les Archives départementales des Hautes-Pyrénées.
Or Joseph Ferran est endetté lors de son décès en 1818, comme quelques années plus tard son fils Marc Ferran. Dans les deux cas, Catherine Claverie, l’épouse de Marc, utilise ses fonds propres, ou bien dans le second cas les indemnités versées par l’assurance suite à l’incendie d’une partie de la papeterie en 1830 pour éviter toute vente judiciaire. Toutefois elle doit se défaire du moulin à farine pour cause de créanciers. Après avoir dirigé ellemême la papeterie, puis avec son fils Jean-Bertrand Ferran, ils la reconstruisent et la modernisent en 1846, remplaçant les piles à maillets par des cylindres, puis l’afferment à leur tour. Cependant, Jean-Bertrand Ferran continue de la diriger avant d’être employé par la Compagnie du Midi puis de devenir commissaire de surveillance et administrateur de cette société de chemin de fer et de s’installer à Tarbes.
En 1894, ces lieux sont indiqués sur une carte comme papeterie et cartonnerie mais également sellerie et tannerie, ces deux petites industries étant peut-être installées dans l’annexe. Les héritiers de Jean-Bertrand Ferran vendent les lieux en 1908.
Pour en savoir plus :
- DUFFO Jean, « Quelques documents sur la papeterie de Soues au XVIIe siècle », Revue des Hautes-Pyrénées, t. 3, Tarbes, 1936, p. 32-37.
- FRANCEZ Jean, « A propos de l’origine de la papeterie et du martinet de Soues », Bulletin de la Société académique des Hautes-Pyrénées, Tarbes, 1943, p. 61-62.
- VALOIS Jeanne, Sur les traces des papetiers de Soues, Mairie de Soues, 2021.
- VALOIS Jeanne, Les papetiers et leurs moulins, Béarn, Bigorre, Pays basque, XVIIe -XIXe siècle, éd. Monhélios, 2023.